• Aïd al-Adha, ou la réjouissance remise en question

     En ce 26 octobre 2012, la plupart des musulmans se réjouiront de prier et de manger en famille la chair d’un mouton égorgé — parfois d’un autre animal, mais toujours égorgé. Cet article ne veut pas revêtir une quelconque forme d’agression, mais engage une réflexion qui, d’ailleurs, a probablement déjà été faite par d’autres.

     Je ne discute pas ici de la fête du sacrifice en elle-même, quoique je ne puisse approuver ses raisons, puisqu’elle est liée à un conte dans lequel un personnage imaginaire ordonne à un homme (peut-être tout autant imaginaire… voir La Bible dévoilée d’Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman) d’égorger son fils. Si aujourd’hui, un père de quelque confession qu’il pense appartenir, disait sentir à l’oreille le souffle de dieu et lui obéissait en attachant son fils, tête tournée vers La Mecque, pour lui trancher la carotide, je doute que cet acte soit considéré comme autre chose que de la folie pure. Vous chipoterez peut-être en me disant qu’Ismaël, fils d’Ibrahim, ne pouvait avoir la tête tournée vers La Mecque. Soit ! Je tenais simplement à tisser un parallèle avec le sujet de cet article : le rituel, ou plus prosaïquement, les procédés concernant l’abatage des animaux non-humains.

     D’après ce que j’ai pu comprendre, l’islam insiste sur l’étroite parenté  entre les animaux non-humains et les humains. Certes, les musulmans entendent cette parenté dans le sens divin ; pour ma part, je l’entends dans le sens darwinien. Toujours est-il que, par conséquent, l’islam préconise le respect de nos “cousins” — même si ceux-ci sont toutefois qualifiés d’inférieurs… Je n’approuve pas les raisons pour lesquelles cette religion préconise le respect (“Créatures de Dieu), ni les moyens qu’elle prescrit pour contraindre à l’obéissance (châtiments éternels dans un cas, lavement des péchés dans l’autre) ; tout au moins, je me dis que ce respect devrait empêcher les musulmans d’infliger toute maltraitance envers les animaux non-humains[1]. L’islam devrait donc prémunir contre toutes ces industries qui confectionnent en série (!) des animaux forcés de “vivre” dans des conditions honteuses et déplorables, et ce, dans le but louable (…) de nourrir l’espèce humaine. Dans nos sociétés développées, l’animal est dévalué et n’est plus considéré comme un être vivant, mais comme un produit de consommation. Pour mieux ressentir toute l’horreur de ces pratiques, je vous renvoie au documentaire Love Meat Tender, dont certains passages sont insoutenables.

     Ainsi donc, l’islam garantirait la résolution de ne pas glisser vers ce terrain boueux d’une production en série et d’odieuses pratiques d’élevages d’animaux. Dans la pratique, j’ignore si ce respect est lui-même respecté (…), mais admettons qu’il le soit. Reste pour moi le problème de l’abatage. Que l’animal doit être vidé de son sang afin de garantir la comestibilité de la chair, je peux le concevoir (est-ce un fait avéré ?) ; mais que l’animal ne puisse être étourdi avant d’être saigné, je ne puis le tolérer. Pour quelle raison, si ce n’est religieuse et donc mythologique[2], pour quelle raison l’animal “sacrifié” devrait-il souffrir, même l’espace de trente secondes ? Pourquoi diable cette souffrance démultipliée par le nombre d’animaux égorgés pour ce fameux jour de l’Aïd al-Adha ? Des jours de souffrance pour un festin copieux… et réjouissant.

     “Vous versez dans la sensiblerie !” ironisera-t-on. Non, répondrai-je. “Parce que vous croyez qu’une lionne étourdit sa proie avant de la prendre à la gorge ?” Sempiternelle lieu commun selon lequel la Nature est cruelle… Je paraphrase ici Richard Dawkins[3] qui écrit que la Nature n’est pas cruelle, elle est seulement indifférente.

     Indifférence, voilà l’essentiel, voilà ce à quoi je voulais en venir. La nature est indifférente notamment parce qu’elle n’a pas de conscience intrinsèque. La conscience est une création de l’évolution biologique, et nous en sommes dotés. Cette conscience n’est qu’un épiphénomène de notre fonctionnement cognitif, mais je laisserai de côté cet aspect. Toujours est-il que cette conscience nous fait ressentir notre liberté, et nous fait comprendre que si la Nature est indifférente, nous, individus de l’espèce humaine, pouvons être cruels. La cruauté est une invention humaine, parce que seuls nous, nous pouvons prendre conscience de la souffrance que nous causons pour des fins inutiles ; seuls nous pouvons prendre conscience de cette souffrance évitable (maltraitances, tortures et meurtres aussi variés qu’ingénieux et sadiques). Beaucoup d’humains enorgueillis, bon nombre de philosophes oublient qu’être libre contraint. Le raisonnement est pourtant simple : puisque la cruauté est liée au caractère évitable d’une souffrance causée par un être conscient, il est de notre devoir de prendre conscience de ce caractère évitable, et par conséquent de bannir la cruauté, même si celle-ci est liée à des motifs religieux. Et puisque, selon moi, être cruel est faire preuve de barbarie, alors étourdir un animal avant de l’égorger — qui plus est, un animal respecté durant sa vie — est une manière de se montrer moins barbare. Et cela vaut pour toute forme de cruauté, quelles qu’en soit ses motifs (privés, religieux, médicaux, scientifiques,…).

     Musulmans, je vous souhaite un bon appétit !

     

    Sénepse



    [1] Je conjugue ici au conditionnel, car on peut trouver sur la toile des textes tels que L’Islam et le respect des animaux, mais aussi des commentaires tels que ceux situés en-dessous de l’article Abdulwahid, l'imam qui veut sauver les cochons. Le respect ne semble donc concerner que des animaux inscrits sur une liste arbitraire que chacun décide de prendre en considération ou non… 

    [2] Dans le sens “construction de l'esprit, fruit de l'imagination, n'ayant aucun lien avec la réalité, mais qui donne confiance et incite à l'action” – définition trouvée sur le site du CNRTL. 

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