• Questions sur les croyances et institutions religieuses

      Les croyances surnaturelles parasitent en réalité notre système cognitif. Nous possédons chacun des systèmes d’inférences qui nous permettent de réagir rapidement face à une situation donnée.

      Voici quelques citations de Boyer (Et l’homme créa les dieux) :

    • Le milieu spécifique de l’homme, c’est l’information, notamment l’information fournie par d’autres hommes. C’est sa niche écologique. p. 474
    • Ce comportement tout à fait particulier crée un gigantesque domaine d’information qui se transmet à travers les siècles et les millénaires, où des milliers de messages sont perdus, oubliés, mal compris, négligés, alors que d’autres sont transmis, à peine déformés ou même intacts, et d’autres encore sont inventés à partir de rien. […] Cependant on trouve […] des fragments d’information qui apparaissent sous des formes assez similaires à différentes époques, en différents endroits. […] Les concepts et comportements religieux en font partie. p. 475
    • Pour comprendre pourquoi l’on trouve ces thèmes récurrents, […] il existe une explication […] simple : ce sont des concepts dont l’acquisition active certains systèmes mentaux, produit certaines inférences un peu plus que d’autres concepts possibles. Avec le temps, cela suffit à créer une énorme différence, parce que les gens auront tendance à acquérir et à transmettre ces concepts-là plus que d’autres. p. 475
    • Parmi les millions de messages échangés, certains retiennent l’attention parce qu’ils violent nos intuitions sur les objets et les êtres qui nous environnent. […] Elles sont la matière première dont on fait les bonnes histoires. […] Certains de ces thèmes sont particulièrement remarquables parce qu’ils concernent des agents. Cela ouvre un domaine très riche d’inférences possibles. pp. 475-476
    • Lorsqu’on parle d’agents, on peut se demander jusqu’à quel point ils sont semblables à la présence invisible et dangereuse des prédateurs. On peut aussi essayer d’imaginer ce qu’ils perçoivent, ce qu’ils voient, ce qu’ils comptent faire, et ainsi de suite, parce que les systèmes d’inférence du cerveau produisent constamment ce genre de spéculations à propos des autres. Parmi ces hypothèses, certaines suggèrent que ces agents ont des informations sur les aspects pertinents des interactions entre les gens qui échangent ces messages. Cela incite fortement ceux qui parlent comme ceux qui écoutent à entendre, raconter et peut-être mettre en doute ces histoires. Cela permet aussi des développements ultérieurs par lesquels les gens peuvent combiner leurs intuitions morales avec l’idée que ces agents sont informés des aspects moraux de ce qu’ils font et de ce que les autres leur font. Lorsque ces agents sont élaborés de la sorte, il devient facile de les associer à des malheurs particulièrement frappants, parce que nous sommes prédisposés à voir dans le malheur un événement social, la responsabilité de quelqu’un, plutôt que le résultat de processus mécaniques. Maintenant, les agents sont donc crédités de pouvoirs qui leur permettent d’envoyer des désastres aux hommes, ce qui s’ajoute à la liste de leurs propriétés qui violent nos attentes intuitives et augmente sans doute leur pertinence. Les gens qui ont de tels concepts finiront par les relier avec les émotions et les représentations bizarres déclenchées par la présence de personnes mortes, parce que celle-ci crée un état cognitif étrange où les intuitions liées à la prédation et les divers processus mentaux concernés par l’identification des personnes produisent des intuitions incompatibles. Nous sentons à la fois que les morts sont là et qu’ils ne peuvent pas être là. Une fois qu’on a ce genre de concepts, il viendra un moment où il sera logique de les connecter avec les diverses actions répétées et largement dépourvues de sens que nous accomplissons souvent dans la crainte que leur non-accomplissement provoque de graves dangers. Ce sont donc maintenant des rituels dirigés vers les agents surnaturels. Dans la mesure où les rituels sont souvent pratiqués dans des contextes où les interactions sociales ont des propriétés non évidentes, il sera facile de considérer les agents comme la vie même du groupe auquel on appartient, comme le fondement de l’interaction sociale. Si nous vivons dans un groupe assez nombreux, il y aura sans doute des gens plus doués que d’autres pour produire des messages convaincants à l’intention des agents non intuitifs. Ces personnes seront probablement créditées de qualités internes particulières qui les différencient des autres. Elles finiront aussi par avoir un rôle spécial dans l’accomplissement des rituels. Dans les groupes nombreux où l’on trouve des spécialistes érudits, viendra un moment où ces derniers changeront tous ces concepts pour en donner une version légèrement différente, plus abstraite, moins contextuelle, moins locale. Il est également fort probable que ces spécialistes formeront une corporation ou guilde dotées d’ambitions politiques. Mais leur version des concepts ne sera pas vraiment optimale, de sorte qu’elle sera toujours combinée, dans l’esprit de la plupart des gens, avec des inférences spontanées et peu orthodoxe. pp. 476 à 478
    • Précision de Boyer : Cette brève histoire de la religion mondiale n’est pas vraiment de l’histoire. Il n’existe pas de fil conducteur qui irait des concepts contre-intuitifs à la religion telle que nous la connaissons, par un affinement graduel de ces concepts. Le processus de sélection a été constant, parce que la production humaine de messages est constante, et que chaque concept de dieu ou d’esprit est légèrement différent de tous les autres. Mais les variantes, après bien des cycles de communication, semblent revenir aux différents thèmes que j’ai exposés ici. Si les concepts et comportements religieux persistent depuis des millénaires — et même plus, sans doute —, s’ils présentent les mêmes thèmes dans le monde entier, c’est simplement qu’ils sont optimaux au sens où ils activent divers systèmes d’une façon qui favorise leur transmission. p 478
    • Précision de Boyer : Ainsi racontée, l’histoire de la religion ressemble à une extraordinaire conspiration. […] Quel qu’il soit, l’inventeur (ou les inventeurs) de la religion aurait eu une prescience incroyable de ce qui pourrait prospérer dans l’esprit des hommes. Mais il n’y a évidemment pas d’inventeur et pas de conspiration non plus. Les concepts religieux fonctionnent comme cela, ils réalisent le miracle d’être exactement ce que les gens vont transmettre, simplement parce que les autres variantes ont été oubliées ou abandonnées en chemin. pp. 478-479

     

      Après avoir compris ceci, des questions ne peuvent manquer de surgir dans notre esprit : à quoi riment donc encore toutes ces institutions religieuses puisque l’on comprend mieux désormais les pourquoi des croyances religieuses ? pourquoi ces connaissances ne sont-elles pas enseignées dès les études primaires (car il n’est pas impossible de formuler tout ceci en termes simples) ? combien d’années faudra-t-il attendre encore pour que l’athéisme soit enseigné et adopté par l’ensemble des humains ? est-ce d’ailleurs plausible ?...

      Une faramineuse quantité d’énergie est gaspillée afin de maintenir les institutions religieuses, afin de trancher sur des questions relatives à des contes, à des fables. Pourquoi ne pas canaliser cette énergie et la mettre à disposition de nouvelles institutions destinées non à la perpétuation de croyances irrationnelles, mais à la protection de la Vie ; des institutions capables de réfléchir à — et de trancher sur — des questions d’ordre rationnel et éthique ?


    N.B. : Les citations ci-dessus sont extraites de la fin du livre de Boyer. Elles présupposent la lecture intégrale de l'ouvrage afin de bien comprendre les enchaînements logiques entre les diverses étapes de "l'histoire" des religions. Je vous invite donc à lire cet essai édifiant...

    P. S. : Il est assez cocasse que j'écrive ces lignes en écoutant la troisième symphonie de Léonard Bernstein, Kaddish...

    Un athéisme érudit peut-il totalement remplacer sur Terre les croyances religieuses, surnaturelles ? »

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