• Citations "Théorie évolutionniste de la liberté" de Daniel C. Dennett

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    Citations significatives

    Notre planète s’est enfin dotée de son propre système nerveux : c’est nous qui lui servons de nerfs. Pg 17

    C’est parce que notre savoir est inévitablement incomplet que penser en termes de mondes possibles est une bonne position de repli. Pg 88

    Les fourmis, nos cousines lointaines, nous surpassent en nombre et nous pesons beaucoup moins lourd que nos parents encore plus éloignés tels que les bactéries, mais, même si nous sommes minoritaires, notre capacité de connaître à longue distance nous confère des pouvoirs qui éclipsent ceux de tous les autres êtres vivants de notre planète. Pg 17

    Plus nous accumulerons d’informations sur ce que nous sommes, mieux nous cernerons l’éventail des possibilités afférentes à ce que nous essayons de devenir. Pg 18

    Le déterminisme est la thèse selon laquelle « il y a à tout instant exactement un seul futur physiquement possible » (Van Inwangen[…]). […] D’abord, de nombreux penseurs présument que le déterminisme implique l’inévitabilité : ils ont tort. Ensuite, beaucoup tiennent pour évident que l’indéterminisme […] permettrait aux agents que nous sommes de se voir conférer une part de liberté ou de bénéficier d’une certaine marge de manœuvre […] qui nous seraient justement inaccessibles dans un univers déterministe : ils se trompent. Enfin, il est couramment postulé que, dans un monde déterministe, les options ne seraient pas réelles, mais seulement apparentes : c’est faux. Pg 39

    […] le déterminisme est totalement compatible avec les hypothèses qui régissent notre conception du possible : en fait, l’incompatibilité apparente à laquelle on croit être confronté n’est qu’une pure et simple illusion cognitive, et il n’y a pas de conflit. Pg82

    Tout utilisateur d’informations finies a un horizon épistémique spécifique : il sait moins que tout sur le monde où il vit, et cette ignorance inévitable garantit que son avenir sera subjectivement ouvert. Pg 111

    […] la “physique” sous-jacente du monde de la Vie (les règles de transition entre un état et un autre) stipule quelles configurations seront assez résistantes à la longue pour constituer des régularités macroscopiques (pas microscopiques), et c’est dans ces structures-là que nous ancrons notre imagination chaque fois que nous pensons aux causes et aux possibilités. Pg 83 & 84

    Des compétitions se déroulent […] au sein de certains mondes de la Vie, et, bien que le démon de Laplace sache exactement comment chaque compétition se terminera, il peut advenir à l’occasion que de vrais drames et des suspenses authentiques soient vécus par les intelligences inférieures qui, en raison de leur perspective limitée, ne peuvent savoir comment la lutte s’achèvera. Pg110

    Nous vivons dans un monde qui est subjectivement ouvert et l’évolution nous a conçus comme des “informativores”, c’est-à-dire comme des chercheurs d’informations épistémologiquement affamés qui s’efforcent inlassablement d’avoir une meilleure emprise sur le monde pour pouvoir prendre de plus en plus de décisions sur leur avenir subjectivement ouvert. Pg 112

    La transmission horizontale d’un plan […] ou d’une information utilisable à bon escient est le trait le plus caractéristique de la culture humaine, et c’est certainement le secret du succès de notre espèce. Pg 166

    La connaissance des rôles joués par nos propres gènes, tout autant que par ceux des autres espèces qui nous entourent, n’est pas l’ennemie de la liberté humaine, mais l’une de ses meilleures amies. Pg 183

    Avec ses banques d’entrées sensorielles et de sorties motrices, le cerveau est un dispositif qui explore un environnement passé pour y localiser une information susceptible d’être raffinée ensuite dans l’or pur d’attentes utilement tournées vers l’avenir. Pg 184

    [Dennett cite Sober et Wilson :] « Même les groupes génétiquement identiques sont susceptibles de profondément différer au niveau phénotypique en raison de mécanismes culturels, et ces différences peuvent devenir héréditaires au seul sens qui compte: en tant qu’elles concernent le processus de la sélection naturelle. » Pg 214

    [Dennett cite Gibard :] « Ce sont des forces darwiniennes qui ont façonné les préoccupations et les sentiments que nous connaissons, et certains d’entre eux sont moraux au sens large. » Pg 226

    Si je sais mieux que vous ce que je m’apprête à faire, c’est uniquement parce que je passe plus de temps en ma compagnie que vous […]. Pg 270

    [Dennett cite Wegner :] « Il nous est impossible de prendre connaissance des innombrables influences mécaniques qui s’exercent sur notre comportement (et de les démêler, a fortiori), car nous habitons dans une machine beaucoup trop compliquée pour cela. » Pg 271

    [Dennett cite Wegner :] « L’expérience de la volonté tient à la façon dont nos esprits nous dépeignent leurs opérations plutôt qu’à ces opérations elles-mêmes. » Pg 271

    Plus on sait, plus on peut, et, plus on peut, plus on a d’obligations ; mais, qu’on regrette ou non le bon vieux temps où l’ignorance était une meilleure excuse qu’à notre époque, il est impossible de revenir en arrière ! Pg 330

    Parce que l’élargissement de nos connaissances nous permet de prendre de plus en plus de hauteur de vue, nous ne saurions être mieux placés pour décider de ce qu’il convient de faire ensuite : l’avenir de notre [sic] planète est entre nos mains — il dépend de nos raisonnements mutuels. Pg 337

    Une personne est un hominidé dont le cerveau infecté est l’hôte de millions de symbiotes culturels dont les principaux catalyseurs sont les systèmes symbiotiques connus sous le nom de “langages”. Pg 195

     

    Idées intéressantes

    Les algorithmes évolutionnaires darwiniens sont neutres quant au substrat. Ils ne se rapportent pas aux protéines ni à l’ADN ni ne spécifient même que la vie est fondée sur le carbone : ils portent sur les effets des réplications différentielles accompagnées de mutations, dans quelque milieu qu’elles surviennent. Pg 211

    L’atmosphère de libre arbitre dans laquelle nous baignons nous fournit un environnement d’un autre genre : elle nous entoure, libère nos potentiels et façonne nos modes de vie en formant l’atmosphère conceptuelle des actions intentionnelles telles que les planifications, les espoirs et les promesses — ou les blâmes, les ressentiments, les punitions et les honneurs. […] Cette atmosphère conceptuelle paraît constituer une construction stable et anhistorique aussi éternelle et immuable que l’arithmétique, mais loin s’en faut : son évolution se poursuit sous l’effet des interactions humaines récentes ou actuelles, et certaines des activités humaines qu’elle a rendues pour la première fois possibles sur cette planète pourraient risquer de compromettre sa stabilité future, si ce n’est de précipiter son décès. Pg 23

    […] le niveau de conception : ce niveau a son propre langage, raccourci transparent des descriptions fastidieuses qu’on pouvait donner au niveau physique. Pg 54

    Sans jamais rien prévoir, Dame Nature a trouvé le moyen de créer des êtres — les êtres humains que nous sommes, avant tout — qui, non seulement se montrent bel et bien prévoyants, mais prévoient même depuis peu de guider et d’assister la sélection naturelle terrestre. […] Lentement et sans rien prévoir, le processus de la sélection naturelle invente des mécanismes ou des phénomènes […] qui accélèrent les processus évolutionnaire en tant que tel : gonflé par ces inventions, le moteur de l’évolution a fini par atteindre le régime critique à partir duquel les explorations menées par des organismes individuels ont la possibilité d’influer sur le lent processus sous-jacent de l’évolution génétique, voire de se substituer à lui dans certaines circonstances. Pg69

    Nous sommes devenus des virtuoses de l’évitement, de la prévention, de l’interférence et de l’anticipation, et c’est une situation extrêmement enviable ; ayant su faire en sorte de disposer d’assez de temps libre pour pouvoir rester tranquillement assis à rêvasser, nous avons pris l’habitude de scruter l’avenir pour tenter de deviner de quoi demain sera fait. […] C’est une évolution biologique très récente : pendant des milliards d’années, notre planète n’avait rien connu de tel, les processus qui s’y déroulaient étant soit totalement aveugles, soit myopes, inconscients et réactifs au mieux — la prévoyance et l’initiative n’existaient pas encore. Pg 70

    […] le point le plus important de ce chapitre [chapitre II] équivaut à la conclusion d’un raisonnement qui peut être explicité comme suit : Dans certains mondes déterministes, il y a des éviteurs qui évitent de subir des dégâts. Donc, dans certains mondes déterministes, certaines choses sont évitées. Tout ce qui est évité est évitable ou peut être empêché. Donc, dans certains mondes déterministes, tout n’est pas inévitable. Donc le déterminisme n’implique pas l’inévitabilité. Pg 72

    CONRAD [personnage fictif avec lequel dialogue parfois Dennett] : […] L’évitement déterminé n’est pas réel en tant qu’il ne change pas vraiment le résultat. [Réponse de Dennett :] Un changement entre quoi et quoi ? L’idée même de changer un résultat est banale, mais incohérente — elle n’est cohérente qu’à condition de renvoyer au changement du résultat anticipé, ce qui, comme on vient de le voir, est exactement ce qui se produit lorsque l’évitement est déterminé. Le résultat réel, le résultat effectif, c’est tout ce qui arrive, et cela, rien ne peut le changer dans un monde déterminé — ni dans un monde indéterminé, d’ailleurs ! CONRAD : Il n’en reste pas moins que les entités du monde de la Vie qui ont le pouvoir de procéder à l’un ou l’autre de ces prétendus évitements ont inévitablement  le pouvoir qu’elles ont et sont inévitablement positionnées de telle ou telle façon dans ce monde à tout instant, grâce au déterminisme de ce milieu et à l’état initial dans lequel il a démarré. [Réponse de Dennett :] Non, c’est précisément cet emploi d’“inévitablement” que je mets en question. Si tout ce que tu veux dire, c’est que chacune de ces entités a le pouvoir d’éviter des choses et que ce pouvoir est déterminé par le passé, tu as raison, mais tu dois cesser d’associer le déterminisme à l’inévitabilité […]. Pg 75 & 76

    Quelque chose est inévitable pour toi si, et seulement si, tu ne peux rien faire à ce propos : si un éclair indéterminé te faisait tomber raide mort, il y aurait vraiment lieu de dire, a posteriori, que rien de ce que tu aurais pu faire n’aurait pu empêcher cet événement — aucun signal de préavis ne t’aurait été adressé ! En fait, si tu projetais de traverser un champ sur lequel la foudre risquerait de s’abattre, mieux vaudrait pour toi que le minutage et l’orientation des éclairs soient déterminés par quelque chose, car ils pourraient alors être prévisibles, et donc inévitables. Le déterminisme est l’ami, et non l’ennemi, de ceux qui n’aiment pas l’inévitabilité. Pg 76

    L’indéterminisme [sic] est une doctrine de la suffisance : Si S0 est un énoncé (d’une complexité ahurissante) qui spécifie dans tous ses détails la description d’état de l’univers à t0 et si S1 spécifie de même la description d’état de l’univers au temps ultérieur t1, le déterminisme stipule alors que S0 suffit à S1 dans tous les mondes physiquement possibles. Mais le déterminisme ne parle pas des conditions antérieures qui sont nécessaires à la production de S1 — ni à celle de n’importe quel autre énoncé, d’ailleurs. Parce que la causalité présuppose en général la nécessité, la vérité du déterminisme n’aurait du même coup rien ou pas grand-chose à voir avec la validité de nos jugements causaux. Pg 103

    [À l’adresse de Conrad :] Par exemple, compare les perspectives respectives de gain des gens qui ont l’occasion de gagner un million de dollars en jouant à pile ou face ou en faisant un double un avec deux dés. Certains se disent avec fatalisme : “La méthode que je choisirai n’a aucune importance ; mes probabilités de faire un double un sont de 0 ou de 1. J’ignore lequel de ces deux destins est déjà déterminé, et il en va de même si je décide de lancer une pièce.” D’autres opteront pour la pièce en se fiant à leur conviction que mieux vaut avoir une chance sur deux de gagner à pile ou face qu’une chance sur trente-six de faire un double un. Il n’est pas étonnant que les être ainsi conçus aient surclassé les fatalistes, qui, avec le recul de l’histoire, peuvent être regardés comme des entités qui comportaient un défaut de fabrication. Pg 108

    Dire que, si le déterminisme est vrai, ton avenir serait fixé à l’avance, c’est… ne rien dire d’intéressant. Affirmer que, si le déterminisme est vrai, ta nature serait fixée d’avance, c’est proférer un mensonge. Notre nature n’est pas fixe parce que l’évolution nous a conçus comme des entités capables de changer de nature corrélativement à leurs interactions avec le reste du monde. Le déterminisme angoisse pour la simple raison que la notion de nature fixe est confondue à tort avec celle d’avenir fixe, et cette confusion est commise chaque fois qu’on s’entête à appréhender l’univers dans deux perspectives en même temps : dans la perspective de l’“œil de Dieu” qui contemple la totalité du passé et de l’avenir, et dans la perspective engagée d’un agent intérieur à l’univers. Pg 113

    […]  les mèmes qui persisteront seront tout simplement ceux dont la propre adéquation adaptative en tant que réplicateurs sera plus grande, quelque effet qu’ils exercent sur notre adéquation adaptative ou ne serait-ce que notre bien-être dans tous les sens du terme: il est donc faux de supposer que la sélection naturelle d’un trait culturel tient toujours à “une cause” — qu’elle fait toujours suite à la perception (erronée, le cas échéant) du bénéfice qu’elle procure à l’hôte. Pg 200

    À mon sens, la création d’une panoplie de nouveaux points de vue est le produit le plus spectaculaire de la révolution euprimatique : contrairement à tous les autres êtres vivants, nous ne sommes pas évolutivement conçus pour évaluer toutes nos options à la seule aune du summum bonum de notre succès reproductif — il nous est permis de substituer un millier d’autres quêtes à celle-là aussi facilement qu’un caméléon change de couleur. Pg 202

    […] la causalité ne peut pas être l’objet d’une perception : vous ne sauriez l’observer quand elle agit à l’extérieur de vous, et vous ne pouvez pas non plus l’étudier de l’intérieur quand elle opère en vous. […] nous nous laissons mystifier par les procédés des magiciens de cabaret : nous sommes si impatients d’interpréter ou de “noter” qu’un truc en cause un autre que nous oublions que la “cause” et l’“effet” sont les produits d’une machinerie complexe qui se dérobe à notre vue — qui est cachée dans les “coulisses”, de fait. Wegner a montré que, loin d’accéder directement aux causes et aux effets de nos décisions et de nos intentions, nous tirons plutôt des inférences, rapidement et sans fanfare logique. Nous sommes vraiment très bons à ce jeu […]. Pg 270 & 271

    Pour Descartes, l’esprit humain était parfaitement transparent pour lui-même, rien n’échappant au regard de la conscience, et ce mythe n’a commencé à s’éroder qu’après plus d’un siècle de théorisations et d’expérimentations psychologiques : on sait aujourd’hui que l’idéal de l’introspectabilité parfaite inverse presque les données du problème ! La conscience des sources d’une action étant l’exception et non la règle, l’évolution n’a pu la faire apparaître que dans des circonstances pour le moins remarquables : en fait, les actes idéomoteurs sembleraient être les fossiles de cet âge, depuis longtemps révolu, où, contrairement à nous, nos ancêtres n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils faisaient […] Pg 273

    Vous n’avez pas besoin de savoir que vous êtes une créature poppérienne pour en être une ! […] Quel événement survenu dans notre monde a bien pu inciter ses habitants à appliquer des mesures de contrôle comportemental poppériens moins volontaires ? Quelle nouvelle complexité environnementale a pu favoriser l’adoption de la structure de contrôle novatrice qui était la condition de ce changement ? La communication, en un mot. C’est seulement après avoir commencé à développer une activité communicationnelle, en général, et à communiquer à propos de ses actes et de ses plans, plus particulièrement, qu’une créature peut devenir capable de surveiller non seulement les résultats de ses actes, mais également ceux de ses évaluations antérieures aussi bien que la formation de ses intentions […] : il ne lui reste plus ensuite qu’à porter sa capacité d’auto-inspection à un niveau tel qu’elle lui permette de faire la différence entre les schèmes situation-action qui peuvent être exécutés en dernier et ceux d’ores et déjà en compétition dans ses organes d’exécution — ainsi que de savoir quels candidats sont en train d’être pris en considération dans la faculté de raisonnement pratique […]. Pg 275

    […] nous n’existerions pas (en tant que sujets dont le Soi habite une machine “compliquée” […]) si l’évolution des interactions sociales n’avait pas contraint chaque animal humain à se doter d’un sous-système interne non seulement chargé de gérer les interactions interindividuelles, mais capable en outre d’interagir temporellement avec lui-même dans certaines circonstances : avant l’apparition des êtres humains, aucun des divers agents existant sur notre planète ne jouissait de la curieuse capacité que nous avons de ne pas occulter les liens causaux — ce trait n’est devenu saillant que depuis que nos prédécesseurs ont pris l’habitude de parler de leurs intentions. Pg 277

    Le fait même d’avoir pris l’habitude de parler de ce que nous faisons nous ayant contraints à conserver une trace de nos actes afin de disposer de réponses toutes prêtes, on peut dire que le langage nous force à tenir cette comptabilité et nous aide à y parvenir en nous permettant à la fois de catégoriser et de simplifier (à l’excès, parfois) nos priorités : nous sommes irrésistiblement enclins à nous comporter comme des psychologues amateurs. Pg 279

    Ce n’est pas en pénétrant dans une chambre particulière du cerveau ni en étant traduits dans quelque médium privilégié autant que mystérieux que les contenus mentaux deviennent conscients, mais en remportant les compétitions qui les opposent à d’autres contenus mentaux : ils doivent dominer leurs rivaux pour pouvoir contrôler des comportements, et donc exercer des effets à long terme […]. Parce que nous sommes des êtres parlants et parce que les paroles que nous nous adressons à nous-mêmes sont l’une de nos activités les plus influentes, l’un des moyens les plus efficaces […] de conférer de l’influence à un contenu mental consiste à le placer dans une position propice à la commande des parties langagières de nos systèmes de contrôle. Pg 281

    La conscience humaine était faite pour le partage des idées — cela revient à dire que l’interface utilisateur humaine a été créée par l’évolution, tant biologique que culturelle, et que son invention a répondu à une innovation comportementale : à l’activité consistant à communiquer des croyances et des plans et à comparer des notes. Pg 286

    Darwin en personne avait attiré l’attention sur l’importance de ce qu’il appelait la sélection inconsciente comme étape intermédiaire entre la sélection naturelle et la sélection méthodique, c’est-à-dire l’amélioration délibérée et prévoyante de la reproduction animale ou végétale par des éleveurs ou des jardiniers. Il insistait sur le caractère flou et graduel de la frontière entre les sélections inconscientes et méthodique […]. Autrement dit, les sélections inconsciente et méthodique à la fois ne sont que des cas particuliers du processus plus large, dit sélection naturelle, au sein duquel le rôle de l’intelligence et des choix humains peut être réduit à zéro ; si on les replace dans la perspective de cette sélection naturelle, les transformations survenant dans les lignées sous l’effet de sélections inconscientes ou méthodiques sont tout simplement des changements qui se produisent dans une environnement où l’une des pressions sélectives les plus prégnantes consiste dans l’activité humaine. Pg 291 & 292

    L’emboîtement de ces modes différents de sélection naturelle des gènes vient d’engendrer un nouveau membre : l’ingénierie génétique. Pg 292

    […] l’ingénierie mémétique […] une entreprise majeure de l’humanité : les tentatives présentes de concevoir et de propager des systèmes complets de cultures humaines, de théories éthiques, d’idéologies politiques, de modes de justice et de gouvernement sont une véritable corne d’abondance où les divers groupes sociaux peuvent puiser une multitude de plans rivaux. Pg 292

    Comme Jared Diamond l’a démontré dans [De l’inégalité parmi les sociétés], les microbes européens ont failli provoquer l’extinction des populations de l’hémisphère occidental qui n’avaient pas eu le temps d’acquérir la tolérance immunitaire spécifique qui aurait pu leur permettre de supporter les effets de ces germes. Au cours des prochaines décennies, ce seront nos mèmes, à la fois toniques et toxiques, qui causeront des ravages dans notre monde non préparé à les accueillir, et notre propre capacité de tolérer des excès de liberté toxiques ne peut être ni postulée chez autrui, ni simplement exportée comme une marchandise supplémentaire. Si l’éducabilité quasi illimitée de tout être humain laisse espérer que le succès est possible, la mise au point, puis l’administration d’un vaccin culturel capable d’éviter ce désastre tout en respectant les droits de ceux et celles qui auront besoin d’une telle vaccination sera une tâche urgente de la plus haute complexité, qui exigera non seulement que nous bénéficiions d’une meilleure science sociale, mais aussi et surtout que nous fassions preuve de sensibilité, d’imagination et de courage. Pg 333

    Nous ne sommes pas seulement des créatures poppériennes, capables de nous représenter et d’imaginer à l’avance des futurs alternatifs et leurs résultats vraisemblables, mais des créatures grégoriennes qui utilisons [sic] des outils mentaux d’origine culturelle installés en nous dès notre enfance ou plus tard. Pg 292

    Les philosophes ont souvent tenté d’édifier une moralité hyperpure et ultrarationnelle qui ne serait souillée ni par la “sympathie” (Kant) ni par l’instinct et sur laquelle les dispositions animales n’influeraient pas plus que les passions ou les émotions ; jetant un regard pragmatique sur ce avec quoi nous sommes tenus de travailler, Gibbard propose à l’inverse de faire ce que Dame Nature a toujours fait : tels les ingénieurs, travaillons donc avec les matériaux dont nous disposons ! Pg 308

    La culture humaine a favorisé l’évolution d’esprits assez ouverts pour que nous soyons capables d’appréhender les raisons d’être des choses et de nous les approprier. Même si nous ne sommes pas des agents parfaitement rationnels, les scènes sociales où nous nous inscrivons entretiennent des processus d’interactions dynamiques qui, en nous contraignant à renouveler et à entériner nos raisons et en nous le permettant à la fois, nous transforment dans des agents susceptibles d’assumer la responsabilité de leurs actes. Notre autonomie ne  dépend pas d’une quelconque suspension miraculeuse de la causalité, mais plutôt de l’intégrité des processus d’éducation et de partage mutuel des connaissances. Pg 314 & 315

    Les avantages qu’il y a à être un citoyen bien considéré d’une société libre sont si unanimement et si profondément appréciés que l’inclusion bénéficie toujours d’un préjugé extrêmement favorable. Le blâme est le prix du crédit, et nous ne rechignons pas à payer ce prix dans la plupart des circonstances — nous payons même cher, acceptant d’être punis et de subir des humiliations publiques pour avoir le droit de revenir dans la partie après qu’on nous a surpris en train de commettre telle ou telle transgression. Pg 320

    La peur de la punition et le besoin de reconnaissance nous détourneront des solutions de facilité en modifiant nos perspectives de gain. […] comme une multitude de penseurs l’ont fait valoir pendant des siècles, la croyance en un Dieu omniprésent et perpétuellement vigilant (en une divinité censée infliger des punitions dans l’au-delà plutôt que compenser l’insuffisance de tel ou tel gain local) pourrait être socialement bénéfique en transformant les citoyens des sociétés où elle a cours en des gens respectueux des commandements divins même quand leurs concitoyens ne les épient pas. […] Que deviendrait une société dans laquelle cet échafaudage si utile commencerait à s’effondrer ou n’aurait jamais existé à l’origine ? Pg 228

    Bien que la plupart (90 % au moins !) des organismes terrestres soient morts sans descendance viable, cette mésaventure ô combien banale n’est arrivée à aucun de vos ancêtres depuis que la vie est apparue sur Terre. […] Donc, si malchanceux que vous puissiez être aujourd’hui, votre présence sur cette planète témoigne du rôle que la veine a joué dans votre passé. Pg 300