• Citations "Race et Histoire" de Claude Lévi-Strauss

    Vous pouvez réagir ici à ces citations, donner simplement votre avis, émettre vos critiques ou compléter par d'autres informations.


    Citations significatives

    L’historicité, ou, pour parler exactement, l’événementialité d’une culture ou d’un processus culturels sont ainsi fonction, non de leurs propriétés intrinsèques, mais de la situation où nous nous trouvons par rapport à eux, du nombre et de la diversité de nos intérêts qui sont gagés sur eux. Pg43

    En vérité, il n’existe pas de peuple enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n’ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. Pg 32

    Les grandes déclarations des droits de l’homme ont […] cette force et cette faiblesse d’énoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l’homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles où les changements les plus révolutionnaires laissent subsister des pans entiers et s’expliquent eux-mêmes en fonction d’une situation strictement définie dans le temps et dans l’espace. Pg 23

    […] la diversité des cultures […] est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés. Pg 19

     

    Idées intéressantes

    Il y a beaucoup plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les unes se comptent par milliers et les autres par unités: deux cultures élaborées par des hommes appartenant à la même race peuvent différer autant, ou davantage, que deux cultures relevant de groupes racialement éloignés. Pg 11

    L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. Pg 19

    […] les tentatives faites pour connaître la richesse et l’originalité des cultures humaines [contemporaines mais éloignées dans l’espace], et pour les réduire à l’état de répliques inégalement arriérées de la civilisation occidentale, se heurtent à une […] difficulté […] profonde : en gros […], toutes les sociétés humaines ont derrière elles un passé qui est approximativement du même ordre de grandeur. Pour traiter certaines sociétés comme des « étapes » du développement de certaines autres, il faudrait admettre qu’alors que, pour ces dernières, il se passait quelque chose, pour celles-là il ne se passait rien — ou fort peu de choses —. Et en effet, on parle volontiers des « peuples sans histoire » […]. Cette formule elliptique signifie seulement que leur histoire est et restera inconnue, mais non qu’elle n’existe pas. Pg 32

    Le développement des connaissances préhistoriques et archéologiques tend à étaler dans l’espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer comme échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses : d’abord que le « progrès » [...] n’est ni nécessaire, ni continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction ; ils s’accompagnent de changements d’orientation […]. Pg 38

    […] la distinction entre les deux formes d’histoire [“« histoire stationnaire » et « histoire cumulative »”] dépend-elle de la nature intrinsèque des cultures auxquelles on l’applique, ou ne résulte-t-elle pas de la perspective ethnocentrique dans laquelle nous nous plaçons toujours pour évaluer une culture différente ? Nous considérerions ainsi comme cumulative toute culture qui se développerait dans un sens analogue au nôtre, c’est-à-dire dont le développement serait doté pour nous de signification. Tandis que les autres cultures nous apparaîtraient comme stationnaires, non pas nécessairement parce qu’elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n’est pas mesurable dans les termes du système de référence que nous utilisons. Pg 41 & 42

    […] dès notre naissance, l’entourage fait pénétrer en nous, par mille démarches conscientes et inconscientes, un système complexe de références consistant en jugements de valeur, motivations, centre d’intérêt, y compris la vue réflexive que l’éducation nous impose du devenir historique de notre civilisation, sans laquelle celle-ci deviendrait impensable, ou apparaîtrait en contradiction avec les conduites réelles. Nous nous déplaçons littéralement avec ce système de références, et les réalités culturelles du dehors ne sont observables qu’à travers les déformations qu’il leur impose […]. Pg 44

    Il est possible, dira-t-on […], que chaque culture soit incapable de porter un jugement vrai sur une autre puisqu’une culture ne peut s’évader d’elle-même et que son appréciation reste, par conséquent, prisonnière d’un relativisme sans appel. Mais regardez autour de vous ; soyez attentif à ce qui se passe dans le monde depuis un siècle, et toutes vos spéculations s’effondreront. Loin de rester enfermées en elles-mêmes, toutes les civilisations reconnaissent, l’une après l’autre, la supériorité de l’une d’entre elles, qui est la civilisation occidentale. Pg 51

    […] ce que les pays “insuffisamment développés” reprochent aux autres dans les assemblées internationales n’est pas de les occidentaliser, mais de ne pas leur donner assez vite les moyens de s’occidentaliser. […] On commencera par remarquer [cependant] que cette adhésion au genre de vie occidental, ou à certains de ses aspects, est loin d’être aussi spontanée que les Occidentaux aimeraient le croire. Elle résulte moins d’une décision libre que d’une absence de choix. Pg 52 & 53

    […] la civilisation occidentale cherche d’une part […] à accroître continuellement la quantité d’énergie disponible par tête d’habitant ; d’autre part à protéger et à prolonger la vie humaine, et si l’on veut être bref on considèrera que le second aspect est une modalité du premier puisque la quantité d’énergie disponible s’accroît, en valeur absolue, avec la durée et l’intérêt de l’existence individuelle. Pg 55

    Si toutes les femmes étaient au moins aussi jolies que la plus belle, nous les trouverions banales et réserverions notre qualificatif à la petite minorité qui surpasserait le modèle commun. De même, quand nous sommes intéressés à un certain type de progrès, nous en réservons le mérite aux cultures qui le réalisent au plus haut point, et nous restons indifférents devant les autres. Ainsi le progrès n’est jamais que le maximum de progrès dans un sens prédéterminé par le goût de chacun. Pg 68

    Il n’y a […] pas de société cumulative en soi et par soi. L’histoire cumulative n’est pas la propriété de certaines races ou de certaines cultures qui se distingueraient ainsi des autres. Elle résulte de leur conduite plutôt que de leur nature. Elle exprime une certaine modalité d’existence des cultures qui n’est autre que leur manière d’être ensemble. […] L’exclusive fatalité, l’unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul. Pg 73

    […] pour progresser, il faut que les hommes collaborent ; et au cours de cette collaboration, ils voient graduellement s’identifier les apports dont la diversité initiale était précisément ce qui rendait leur collaboration féconde et nécessaire. Mais même si cette contradiction est insoluble, le devoir sacré de l’humanité est d’en conserver les deux termes également présents à l’esprit, de ne jamais perdre de vue l’un au profit de exclusif de l’autre ; de se garder, sans doute, d’un particularisme aveugle qui tendrait à réserver le privilège de l’humanité à une race, une culture ou une société ; mais aussi de ne jamais oublier qu’aucune fraction de l’humanité ne dispose de formules applicables à l’ensemble, et qu’une humanité confondue dans un genre de vie unique est inconcevable, parce que ce serait une humanité ossifiée. Pg 82 & 83