• Citations "Qu'est-ce que l'homme ?", partie de Jean-Didier Vincent

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    Citations significatives

    Les cultures sont des faits, pas des choses toutes faites. Elles sont les produits d’une activité cognitive extraordinairement développée qui implique non seulement la connaissance de l’autre comme un semblable, mais aussi une reconnaissance de soi. Le test du miroir semble indiquer que celle-ci est déjà présente chez les primates humanoïdes. Pg 152

    Les souvenirs qui s’accumulent, les savoirs et les gestes qu’il apprend ne sont sûrement rien d’autre que le développement de son cerveau qui se poursuit : l’homme, un être de mémoire. Pg 159

    Les représentations du monde ne peuvent […] être considérées indépendamment des actions du sujet sur ce même monde. Je propose pour les désigner le néologisme de représentactions. Pg 159

    Cette capacité particulière de gestion du temps est, peut-être, chez l’homme à l’origine de la conscience de soi. Celle-ci vient en effet se superposer à la conscience animale en intégrant les représentactions à un niveau supérieur de catégorisation qui révèle le sujet dans une perspective temporelle et le dote à la fois d’une historicité et d’une identité. Pg 159

    La fonction globale du langage serait de produire du social. Pg 171

    Le langage articulé est certes d’une fabuleuse complexité, mais n’est-ce pas également le cas des ailes de l’oiseau, de la trompe de l’éléphant ou d’autres merveilles de la vie dont personne ne conteste plus qu’elles sont le produit de la sélection naturelle ? Pg 161

    S’il est une fonction qui caractérise le langage humain, c’est son aspect déclaratif qui a pour objet d’apporter une information sur le monde qui tranche avec le caractère exclusivement impératif de la communication animale. Pg 171

    L’aventure génétique de notre lignée “s’achève” sur l’apparition de l’“HOMME”, espèce unique en son genre après extinction des espèces voisines. Pg 177

    Si l’on effaçait de la surface de la terre l’ensemble des cerveaux humains, l’art disparaîtrait du même coup. Les cathédrales continueraient de se dresser dans le ciel et les tableaux de pendre sur les murs des musées désertés. Toutes ces œuvres du génie humain n’auraient plus la possibilité de vivre chaque fois qu’un regard humain se porte sur elles. L’art n’existe en effet que dans le cerveau de l’homme à qui il s’adresse et qui seul est capable de le produire. Pg 181

    Finalement, l’évolution obéit à deux exigences : stabilité de la forme d’une génération à l’autre sans laquelle il n’y aurait pas de conservation de l’espèce, et variabilité sans laquelle il n’y aurait pas d’adaptation. Pg 228

    L’adaptation exprime l’accord entre l’organisme et son milieu — un compromis provisoire plus ou moins stable qui peut toujours être remis en question par une mutation de l’organisme ou un changement du milieu. Pg 226

    La sélection naturelle n’est pas, en revanche, l’explication unique de l’évolution. Il existe par exemple des contraintes structurales qui n’ont aucune valeur adaptative. Pg 229

    La névrose n’est pas non plus l’apanage de l’homme et beaucoup d’animaux domestiques partagent celle de leur maître. Pg 155

     

    Idées intéressantes

    La sélection naturelle est assortie de l’idée de gradualisme qui veut que les organes et les systèmes biologiques complexes apparaissent par l’accumulation progressive au cours des générations de mutations génétiques aléatoires favorisant une meilleure adaptation au milieu et finalement une capacité accrue de reproduction. Ce gradualisme — je ne dis pas progressisme, car l’évolution est étrangère à la notion de progrès — peut toutefois être interrompu par des changements plus massifs ; comme des rapides et des chutes viennent troubler le cours tranquille d’une rivière. Pg 147

    Devant l’arbitrarité radicale qui caractérise les signes du langage et la complexité des règles de grammaire, des linguistes évoquent une différence radicale avec la communication animale. Ils récusent le gradualisme, car, disent-ils, que signifie pour un « organisme de posséder un demi-symbole ou les trois quarts d’une règle » ? C’est refuser de comprendre comment la sélection naturelle est capable de modifier progressivement une ébauche d’organe, voire un organe servant à d’autres usages, au point d’en faire un organe d’apparence et de fonctions totalement différentes par exemple d’une nageoire, une patte et d’une patte, une aile. Pg 172

    Selon Coppens, l’opportunisme omnivore rompt avec le peuple des singes arboricoles et végétariens. L’hominidé est devenu isodyname, c’est-à-dire que tous les aliments peuvent lui procurer l’énergie dont son corps a besoin et qu’il peut ainsi se dégager des contraintes alimentaires du milieu. Pg 156

    […] je voudrais introduire […] une distinction majeure entre les émotions et les passions. Les premières sont partagées par tous les vertébrés. Elles expriment les relations fluctuantes du corps et de son milieu. Produit de la sélection naturelle, elles possèdent des fonctions d’adaptation et de communication. Les secondes sont le propre de l’homme, car elles supposent chez le sujet la conscience réfléchie de son corps ému. Pg 188

    […] il existe chez les chimpanzés d’Afrique différents “foyers culturels” dont les traditions varient de l’un à l’autre et portent sur une quarantaine de comportements […]. Il s’agit bien d’une transmission sociale indépendante des conditions écologiques […] et de facteurs génétiques […]. Pg 151 & 152

    On lit un peu partout que les chimpanzés et l’être humain ont 98 à 99 % de leur ADN identiques. […] L’erreur majeure (souvent faite) consiste à dire que nous sommes à 99 % comparables à des chimpanzés. Affirmation qu’accepte volontiers un Français de souche qui par ailleurs refuse l’idée qu’il est à 100 % semblable au “nègre” qui ramasse ses poubelles. […] Une différence de 1 % ne signifie […] pas que 1 % seulement des gènes de l’homme et du chimpanzé sont différents, mais ne veut pas non plus dire que tous les gènes de l’un et de l’autre diffèrent chacun de 1 %. En bref, une mutation sur un seul gène pourra avoir des conséquences considérables alors que d’autres mutations sur des gènes ou surtout sur l’ADN non codant laisseront l’organisme indifférent. Pg 175

    Les premières traces de sépultures remontent à cent mille ans. […] Il ne faut pas s’y tromper, il n’y a rien là de spécifiquement humain. Quoi de plus ritualisé que certains comportements décrits par l’éthologie. […] Ce qui appartient à l’homme, en revanche, c’est une appréhension particulière du temps. Le développement du cortex cérébral […] lui permet en effet de mesurer la durée, d’en concevoir le commencement et la fin et de s’interroger dès lors sur ce qu’il y a avant le début et après la fin. Pg 155

    La présence d’objets familiers et de nourriture près du mort témoigne chez les néandertaliens de la croyance en une vie outre-tombe. Celle-ci ne relève pas de spéculations philosophiques très avancées. L’idée est la plus simple qui se présente pour porter remède à la mort et se consoler de la perte [de] l’Autre aimé. Mais se trouvait-il déjà quelques individus pour ne croire à rien ? Le concept de néant est autrement difficile à manier pour le cerveau de l’homme ! Pg 155

    […] le plaisir et son partenaire l’aversion sont probablement les principaux facteurs qui déterminent les comportements de l’homme et de l’animal. Mais, bien plus, la capacité montrée par les humains de partager leurs expériences du plaisir (et de la souffrance), grâce au développement du langage, est à la base de l’humanitas et des fondements de la culture et de l’art : vivre en homme ou le plaisir partagé ! Pg 216

    La taille [du cerveau] ne suffit pas […] pour rendre compte de l’intelligence de l’homme. […] La différence vient chez l’homme de développement des aires cérébrales dites associatives qui occupent plus des deux tiers de la partie superficielle du cerveau, appelée cortex, notamment dans sa région antérieure et frontale. Pg 157

    Ce que l’animal sait du monde est inscrit dans son cerveau sous forme de représentations. L’homme ne se distingue de l’animal que par la richesse extraordinaire et l’abondance de ces dernières. […] Ces représentations constituent des formes à partir d’ensembles de neurones connectés par les liaisons plastiques plus ou moins stables appelées synapses. Ces connexions sont versatiles, elles peuvent s’effacer, réapparaître, se renforcer ou s’estomper, ce que l’on désigne sous le terme général de mémoire. Pg 158

    […] la nature instinctive du langage chez l’homme [:] il existe dans le cerveau de celui-ci des dispositifs anatomiques et des organisations neuronales d’origine génétique qui lui permettent d’apprendre à parler pendant une période critique. Pg 163

    [La] loi biogénétique de Haeckel [:] chaque animal refait en se développant ce que firent ses ancêtres en évoluant. Autrement dit, l’ontogenèse récapitule la phylogenèse. Pg 166

    [Suite à la loi biogénétique de Haeckel] Par un étrange biais de l’esprit, des chercheurs se sont évertués à essayer d’apprendre un langage à des singes anthropoïdes, des chimpanzés le plus souvent. Que dirait-on d’un biologiste qui essaierait d’apprendre à voler à un crocodile sous prétexte qu’il possède un ancêtre commun avec l’oiseau : un dinosaure. Il est vrai qu’il existe des structures homologues des aires du langage chez les singes. […] Mais même en admettant que ces régions soient homologues chez le singe, des aires du langage chez l’homme, y a-t-il vraiment un intérêt à forcer la nature de ces animaux ? Sous le prétexte que les nageoires latérales de la baleine et les ailes de l’oiseau sont homologues, doit-on chercher à tout prix à faire voler les baleines ?    Pg 166

    Il y a correspondance entre la position du gène et le site de son expression dans l’organisme en construction. La lecture des gènes sur le chromosome se fait dans le sens qui est celui de l’édification de l’animal. Par ailleurs, chaque nouveau gène qui s’exprime au fur et à mesure du bourgeonnement des cellules vers l’arrière domine celui qui le précède, selon la règle dite de “la prévalence du postérieur”. Ces gènes de positionnement relatif des parties du corps existent depuis les lointains débuts du règne animal. Certes, de nouveaux gènes sont apparus par duplication des premiers ; d’autres ont disparu, et le temps de leur expression a varié d’une espèce à l’autre, mais le système est resté globalement inchangé. Voilà pourquoi, à un moment donné de leur développement, tous les embryons se ressemblent. […] Ce point de ressemblance entre les espèces d’un même embranchement est appelé point phylotypique, goulot d’étranglement où les gènes homéotiques imposent à l’animal un schéma général qui est le plan d’organisation commun à toutes les espèces : le zootype.  Pg 245 & 246

    Si les gènes du chimpanzé et de l’homme sont presque identiques, il n’en est pas de même de ce que l’on appelle leur caryotype, c’est-à-dire l’aspect physique de leurs chromosomes. […] Ces modifications de l’architecture du chromosome peuvent modifier l’expression des gènes qu’il contient. Pg 175 & 176

    À la naissance, le jeune chimpanzé ressemble à un jeune humain. Tout se passe ensuite comme si l’homme adulte avait conservé les traits du chimpanzé nouveau-né. […] L’immaturité prolongée de l’homme ferait donc de celui-ci un bébé singe néoténique qui aurait pris tout son temps pour apprendre à parler. En somme, l’homme ne serait qu’un vieux singe resté en enfance. (Peut-être est-ce la raison de sa conduite parfois si déraisonnable.) Pg 176 & 177

    Chez les invertébrés et les unicellulaires, le désir est réglé comme du papier à musique. L’activité du corps répond aux stimulations du milieu selon des canons fixes. Le sujet et l’objet de son désir sont liés dans une structure mélodique déterminée par la lecture de la partition écrite dans les gènes. […] Chez les vertébrés, en revanche, le désir mène le bal de l’improvisation en trio avec le plaisir et sa commère la souffrance. Une des clés de l’évolution des vertébrés réside dans l’installation des systèmes désirants. […] À la différence des invertébrés, ces animaux sont soumis tout au long de leur formation individuelle à l’épreuve de l’environnement. La mise en œuvre des gènes de développement qui dirigent la construction de leur cerveau dépend de l’épigenèse. L’aventure des vertébrés est celle de l’individuation. En d’autres termes, la liberté offerte par le monde s’est introduite dans le déroulement du programme interne de formation de l’individu. Pg 203 & 204