• Citations "De beaux rêves : Obstacles philosophiques à une science de la conscience" de Daniel C. Dennett

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    1. À retenir  

    Ne nous privons évidemment pas, sans un examen critique, d'intuitions familières, et parfaites en leur genre, mais sachons reconnaître que les intuitions dont on s'est servi au départ pour délimiter les problèmes ne suffiront pas pour les trancher. 

    p. 64 

     

    La conscience apparaît à beaucoup de gens comme un mystère, le plus prodigieux spectacle de magie imaginable, une série sans fin d'effets spéciaux défiant toute explication. Or, à mon sens, ils se trompent : la conscience est un phénomène physique, biologique - au même titre que le métabolisme, la reproduction ou l'autoréparation - quelque chose dont le fonctionnement est ingénieux jusque dans les moindres détails, mais nullement miraculeux, ni même finalement mystérieux. 

    p. 99 

     

    Daniel Dennett cite Lee Siegel : Si je dis : "Je suis en train d'écrire un livre sur la magie", alors on me demande, "La vrai magie ?" Par vraie magie, les gens entendent les miracles, les actes des thaumaturges et les pouvoirs surnaturels. Et je réponds : "Non, sur les tours de prestidigitation, pas sur la vraie magie." Autrement dit, la vraie magie fait référence à une magie qui n'est pas vraie, alors que la magie qui est vraie, celle qui peut être réellement pratiquée, n'est pas la vraie magie.  

    Daniel Dennett ajoute : Elle ne peut être vraie, si elle est explicable comme l'est tout phénomène produit à partir de l'arsenal des tours ordinaires - tours au rabais, diriez-vous peut-être. Et c'est exactement ce que beaucoup de gens disent également de la conscience. 

    p. 100 

     

    La "magie" de la conscience, comme celle des prestidigitateurs, ne résiste aux explications qu'aussi longtemps que nous la prenons au pied de la lettre. 

    p. 126 

      

    Voici un bref résumé par Dehaene et Naccache […] du modèle de l'espace de travail neuronal global, que je fais suivre de développements portant sur les termes-clés […]. À n'importe quel moment du temps, plusieurs réseaux cérébraux modulaires (1) sont simultanément en activité et traitent de l'information de manière inconsciente. Toutefois, une information (2) ne devient consciente que si la population neurale qui la représente est mobilisée par une amplification de l'attention de haut en bas (3), en direction d'un état d'activité cohérente à l'échelle du cerveau, impliquant un grand nombre de neurones distribués dans toute l'étendue du cerveau. La connexion à longue distance de ces "neurones de l'espace de travail" permet, quand ils sont en activité pendant une durée minimale (4), de rendre l'information disponible pour une grande diversité de processus, parmi lesquels la catégorisation perceptive, la mémorisation à long terme, l'évaluation, et l'action intentionnelle. On postule que cette disponibilité globale de l'information au travers de l'espace de travail n'est pas autre chose que (5) ce dont nous avons subjectivement l'expérience sous forme d'état conscient. 

    (1) La modularité intervient par degrés et sous des formes différentes ; ce sur quoi l'on insiste ici est seulement le fait qu'il s'agit de réseaux spécialisés à pouvoirs de traitement de l'information limités. 

    (2) Il n'existe pas de terme standard pour désigner un événement du cerveau véhiculant une information ou un contenu sur un thème déterminé (par exemple, information sur la couleur localisée sur la rétine, information sur un phonème entendu, information sur la familiarité ou sur la nouveauté d'une autre information en cours de traitement, etc.) Toutes les fois qu'un réseau spécialisé, ou qu'une structure plus petite, opère une discrimination, fixe un élément du contenu, c'est 'une information" les concernant qui est créée. […] 

    (3) Nous devrions veiller à ne pas trop prendre à la lettre l'expression "de haut en bas". Dans la mesure où le cerveau ne possède pas de sommet organisationnel unique, cette expression veut seulement dire qu'une telle amplification de l 'attention n'est pas seulement modulée "de bas en haut" par des propriétés internes au flux de processus dans lequel elle se déploie, mais aussi par des influences latérales, en provenance d'activités compétitives, coopératives, collatérales, et dont le résultat net émergent est ce qu'on peut prendre en bloc et globalement qualifier d'influence de haut en bas. Dans une arène où s'affrontent différents processus (comme dans une démocratie), le "haut" est distribué, il n'est pas localisé. Pour autant, parmi les divers processus rivaux, il existe des bifurcations ou des seuils importants qui peuvent conduire à des effets différents, et ce sont ces différences qui rendent le mieux compte de nos intuitions préthéoriques relatives à la différence entre événements conscients et inconscients dans l'esprit. Si nous y prenons garde, nous pouvons employer "de haut en bas" comme une allusion innocente, en tirant parti de cette trace fossile encore vivante une théorie cartésienne abandonnée, afin de marquer les différences réelles que cette théorie décrivait de façon inadéquate. […] 

    (4) Quelle doit être la longueur de cette durée minimale ? D'une longueur suffisante pour rendre l'information disponible à un grand nombre de processus différents - c'est tout. On devrait résister à la tentation d'imaginer quelque autre effet exigeant de s'accumuler avec le temps, parce que… 

    (5) La thèse consensuelle avancée ne dit pas que cette disponibilité globale cause quelque effet supplémentaire, ou d'un type complètement différent - qui allumerait l'embrasement des qualia conscients, obtiendrait le droit d'entrée dans le Théâtre Cartésien, ou autre chose du même genre - mais que la disponibilité globale est, à elle toute seule, un état conscient. C'est la partie de la thèse qui est la plus difficile à comprendre et à admettre. En fait, certains, qui souscrivent au reste du consensus, achoppent sur ce point et veulent croire que la disponibilité globale doit, on ne sait trop comment, allumer un effet spécial dépassant les compétences platement fonctionnelles ou computationnelles assurées par cette disponibilité globale. Je vais défendre l'idée que ceux qui soutiennent cette intuition capitulent quand la victoire est à portée de main, car ces compétences "platement fonctionnelles" sont les compétences mêmes que la conscience était censée rendre possibles. 

    p. 212 à 216 

     

    Daniel Dennett cite Olivier Selfridge : Je voudrais évoquer brièvement certains des avantages du modèle du pandémonium, en tant que modèle réel du comportement conscient. Quand on observe un cerveau, on devrait faire une distinction entre l'aspect du comportement qui est consciemment disponible, et les comportements, sans aucun doute d'importance égale, mais qui procèdent inconsciemment. Si l'on conçoit le cerveau comme un pandémonium - comme une collection de démons - peut-être est-il possible de considérer ce qui se produit à l'intérieur des démons comme la partie inconsciente de la pensée, et ce que les démons se donnent à entendre les uns aux autres, comme la partie consciente de la pensée […]. 

    Daniel Dennett cite Paul Rozin : Les spécialisations… forment les matériaux de construction pour une intelligence de plus haut niveau… À l'époque de leurs origines, ces spécialisations étaient étroitement câblées dans le système fonctionnel qu'elles étaient destinées à servir ; elles restaient donc inaccessibles aux autres programmes ou systèmes du cerveau. Je suggère qu'au cours de l'évolution, ces programmes sont devenus plus accessibles aux autres systèmes, et qu'à la limite, ils ont pu s'élever jusqu'au niveau de la conscience, et s'appliquer à tout le règne des fonctions comportementales et mentales […]. 

    p. 217 & 218 

     

    Après tout, c'est ce qui s'est produit dans le cas de ce très ancien mystère que constituait la nature de la vie. Le vitalisme - cette insistance mise sur la notion d'un mystérieux superprincipe, immanent à tous les êtres vivants - s'est avéré ne pas être une intuition profonde, mais un égarement de l'imagination. Forts de ce glorieux échec, nous pouvons maintenant poursuivre notre exploration scientifique de la conscience. 

    p. 283 

     

    3. Intéressant 



     

    Les linguistes ont depuis longtemps débattu des problèmes épistémologiques de la distorsion qui surgissent du fait de ne consulter que leurs propres intuitions de grammaticalité dans leur langue maternelle. Il est étrange que les philosophes n'aient pas toujours fait preuve de la même autocritique dans leurs recherches méthodologiques. 

    p. 63 

     

    […] l'impression de déjà-vu [:] En réalité, vous ne vous rappelez pas avoir fait l'expérience de cet événement même à un certain moment du temps passé ; vous ne faites que penser, à tort, que vous vous le rappelez. […] Supposons que le système visuel soit un système redondant, incluant deux flux, A et B, de fonctions et de capacités identiques ou différentes, comme on voudra. Et supposons que les deux flux émettent leurs signaux au travers de quelque chose comme un tourniquet, un détecteur de familiarité (ou, de façon alternative, un détecteur de nouveauté), opérant une discrimination sur tous les signaux d'entrée, entre ceux qui sont nouveaux et ceux qui ont été rencontrés antérieurement. (Nous avons la preuve qu'un tri de ce genre intervient très tôt dans le processus visuel, au niveau de l'hippocampe ; la spéculation n'est pas entièrement gratuite […].) Et faisons encore la supposition que, de temps en temps, la transmission des signaux par le canal B soit tant soit peu retardée, de sorte qu'elle ne parvient au détecteur de familiarité que quelques millièmes de seconde après le signal du canal A. Quand le signal du canal A arrive, son empreinte de nouveauté est enregistrée par le détecteur de familiarité, et, presque immédiatement, cette trace mémorielle est appariée au signal qui arrive du canal B, ce qui déclenche de la part du détecteur de familiarité la production de son verdict positif : "Déjà vu !" Et ceci, non pas il y a des semaines, ni des mois, ni dans une autre vie, mais seulement quelques millièmes de seconde plus tôt. Ce qu'il en sera des suites provoquées par cette fausse alerte va dépendre d'autres détails de la psychologie du sujet, de la stupeur et des exclamations avec la bouche ouverte à propos du voyage dans le temps, jusqu'au petit sourire blasé : "Oh, super ! Je connais cette impression de déjà-vu. Ces choses-là, je les ai vues auparavant !" Une simple transmission à retardement de ce type dans un système redondant suffirait à rendre compte de l'impression de déjà-vu, mais, si le modèle à deux canaux inspiré de l'hypothèse de Janet pouvait l'expliquer, le système plus simple à un canal […] le pourrait tout autant. Dans le cadre de ce modèle plus simple, il pourrait se faire que quelque perturbation - mort d'un neurone, déséquilibre d'un neurotransmetteur, fatigue d'une genre ou d'un autre - contribue à déclencher faussement dans le détecteur de familiarité un verdict positif erroné, et que le reste des conséquences s'ensuive, de la manière où il est supposé s'ensuivre dans le cadre de l'autre modèle. 

    p. 108 à 110 

     

    À propos de la Vue de Dresde de Bernardo Bellotto : Il y a tout lieu de croire que le cerveau n'a pas effectué une traduction picturale de plus. Quand le cerveau s'empare de la suggestion, il est en train de former une croyance ou une attente, et non de peindre pour lui-même une image à contempler. Et comment savons-nous qu'une telle attente est formée ? C'est lorsque je découvre qu'elle a été bafouée, et que j'en ai le souffle coupé ; j'attendais confirmation et concrétisation de certaines hypothèses spéculatives (involontaires, inconscientes) portant sur ce que je m'apprêtais à voir à l'instant suivant, et cette attente s'est trouvé brutalement désavouée. 

    p. 112 & 113 

     

    Daniel Dennett cite Siegel : La magie révèle à quel point nous nous rappelons mal ce que nous avons vu, elle dévoile de quelle façon la mémoire est porteuse et mère nourricière d'illusion. 

    p. 116 

     

    Y a-t-il vraiment un Problème Difficile ? Ou bien ce qui apparaît comme étant le Problème Difficile ne se ramène-t-il pas simplement au vaste arsenal de tours constituant ce que Chalmers appelle les Problèmes Faciles de la conscience ? C'est derniers sont tous susceptibles d'explications ordinaires, lesquelles n'exigent pas de révolutions au sein de la physique, ni l'émergence d'innovations pures. Ils relèvent, avec beaucoup d'opiniâtreté, des méthodes classiques des sciences cognitives. Je ne peux pas prouver que le Problème Difficile n'existe pas, mais Chalmers ne peut pas non plus prouver qu'il existe. Il peut faire appel à vos intuitions, mais ce n'est pas là une base solide sur laquelle fonder une science de la conscience. 

    p. 125 

     

    Le Modèle à Versions Multiples n'ayant […] pas fourni l'antidote suffisamment frappant et parlant à l'imagination pour supplanter l'imagerie cartésienne dans laquelle nous avons tous grandi [= le modèle du Théâtre Cartésien], j'ai proposé plus récemment une métaphore heuristique que j'estime plus utile : c'est la "notoriété dans le cerveau" ou "célébrité cérébrale" […]. […] Au lieu de changer de médias ou d'aller on ne sait trop où afin de devenir conscients, les contenus jusque-là inconscients, placés là où ils sont, peuvent remporter quelque chose qui ressemble plutôt à ce qu'est la notoriété (ou potentiellement en passe de l'obtenir). 

    p. 219 & 220 

     

    L'attention n'est pas, à la lettre, un projecteur, aussi nous faut-il expliquer cette métaphore séduisante en expliquant les pouvoirs fonctionnels de la monopolisation de l'attention sans présupposer une source unique de prestation de cette attention. Ce qui signifie que nous devons poser deux questions. Pas seulement le question (1) Comment cette notoriété se réalise-t-elle dans le cerveau ? Mais aussi la question (2) Et ensuite, que se passe-t-il ? 

    p. 221 & 222 

     

    Ce qu'une théorie de la conscience se doit d'expliquer, c'est comment un effectif de contenus relativement restreint est élevé à cette influence politique, avec toutes les conséquences qui en résultent, tandis que la plupart des autres disparaissent dans les oubliettes, une fois remplis leurs modestes activités dans les projets du cerveau. […] Il est possible de postuler la présence d'une activité, dans une structure neurale ou dans une autre, comme condition nécessaire et suffisante pour qu'il y ait conscience, mais il faut alors assumer la charge d'expliquer pourquoi c'est cette activité-là qui crédite les événements auxquels elle a affaire d'un pouvoir politique […]. 

    p. 222 

     

    Damasio […] a abordé […] deux problèmes intimement liés : comment le cerveau "fabrique-t-il le film dans le cerveau" et comment le cerveau fabrique-t-il "l'apparition d'un porteur et d'un observateur du film à l'intérieur du film", et il a souligné que certains théoriciens […] ont commis l'erreur tactique de se consacrer presque exclusivement au premier de ces problèmes, et d'ajourner indéfiniment le second. 

    p. 230 & 231 

     

    Pour éclaircir ce dernier point, comparons les qualia de l'expérience avec la valeur d'une monnaie. Il y a des Américains naïfs qui ne parviennent pas à se sortir de la tête que les dollars, à la différence des francs, des marks et des yens, possèdent une valeur intrinsèque ("Combien ça fait, en vraie monnaie ?"). Ils sont parfaitement satisfaits de "réduire" la valeur des autres devises en termes dispositionnels, relativement à leur taux de change en dollars […], mais ils ont comme une petite idée que les dollars sont différents. Ils estiment que tout dollar a quelque chose qui est logiquement indépendant de ses capacités fonctionnelles d'échange, et qu'on pourrait appeler sa vertu. Ainsi définie, la vertu de chaque dollar est certaine d'échapper définitivement aux théories des économistes, mais nous n'avons pas de raisons d'y croire, excepté la petite idée venue du fond du cœur, qu'on peut expliquer sans avoir à y souscrire. 

    p. 244 

     

    La mémoire épisodique n'est pas donnée gratuitement. On peut penser que c'est la capacité même de faire écho qui rend possible la mémoire épisodique. Les animaux se souviennent moyennant la répétition multiple des stimuli du monde. Nous nous rappelons, semble-t-il, en un coup, mais, en fait, pas seulement en un coup. Ce que nous nous rappelons est une affaire qui a été jouée, rejouée et rejouée de manière obsessionnelle dans nos cerveaux. 

    p. 270 & 271 

     

    J'ai avancé (1) l'hypothèse empirique selon laquelle notre capacité à revivre et à ranimer des événements dotés de contenus est le trait le plus important de la conscience - le trait à vrai dire le plus proche qu'on trouvera jamais d'un trait définitoire ; et (2) l'hypothèse empirique d'après laquelle cette capacité de faire écho est en grande partie imputable aux habitudes d'autostimulation que nous importons de la culture humaine, d'après laquelle la machine joycienne qui habite nos cerveaux est une machine virtuelle composée de mèmes. Les deux définitions sont indépendantes. Si l'hypothèse des mèmes se trouvait catégoriquement mise en échec par la découverte - la confirmation - que de tels systèmes de mise en écho sont à l'œuvre dans les cerveaux d'animaux non humains, je serais alors d'accord, en vertu de cette raison même, avec l'idée que les espèces présentant ces chambres d'écho sont des espèces conscientes, dans le sens précis où nous-mêmes le sommes - car c'est en cela que, selon moi, consiste la conscience. 

    p. 272 & 273 

     

    Votre flux de conscience se trouve encombré d'un surcroît interminable d'associations. Et comme chaque occupant fugitif de la position la plus influente laisse place à des successeurs, tout effort pour mettre fin à cette parade désordonnée et pour contrôler les détails des associations ne fait qu'engendrer un nouveau déluge d'états évanescents, et ainsi de suite. Des coalitions de thèmes et de projets peuvent réussir à monopoliser l'attention pendant une période utile et extrêmement productive, en repoussant assez longtemps de possibles digressions, et en créant la fiction d'un soi ou d'un ego permanent prenant en charge l'ensemble des opérations. Et ainsi de suite. 

    p. 278 & 279 

     

      

    4. D'accord 

     

    Ne se pourrait-il pas que, d'une manière ou d'une autre, l'organisation de toutes les pièces qui agissent les unes sur les autres engendre la conscience comme une production émergente ? Et s'il en était ainsi, ne pourrait-on espérer, une fois développés les concepts appropriés, en comprendre la nature ? 

    p. 23 

     

    Considérée selon cette perspective, la conscience est un résultat relativement récent des algorithmes évolutionnaires qui ont apporté à la planète des phénomènes tels que les systèmes immunitaires, le vol ou la vision. 

    p. 23 & 24 

     

    On rencontre chez nombre de […] réactionnaires […] le curieux anachronisme suivant : tout en nourrissant l'espoir qu'advienne un jour une solution au problème (aux problèmes) de la conscience, ils spéculent autour de l'idée qu'elle ne viendra pas de la biologie ou des sciences cognitives, mais […] de la physique ! […] Toutes ces thèses se concentrent autour de l'idée qu'un principe révolutionnaire de physique pourrait fournir un rival à l'idée que la conscience serait sur le point d'être expliquée en termes de "pièces qui poussent les unes les autres", comme dans le moulin de Leibniz. Supposons qu'ils soient dans le vrai. Supposons que le Problème Difficile - si tant est qu'il existe - ne puisse être résolu que par la confirmation de quelque merveilleuse propriété, nouvelle et irréductible à toute autre, de la physique des cellules qui composent un cerveau. Un des problèmes soulevés par cette idée est que la physique des cellules de votre cerveau, compte tenu de ce qu'on sait jusqu'à maintenant, est la même que la physique de ces cellules de levure qui sont en train d'entamer une explosion démographique dans l'assiette. Or les différences fonctionnelles entre les neurones et les cellules de levure s'expliquent en termes des différences d'anatomie ou de cytoarchitecture cellulaire, non en termes de physique. 

    p. 27 à 30 

     

    […] si vraiment vous croyez que la conscience scinde l'univers en deux entre les choses qui en sont dotées et celles qui en sont privées, et si vous croyez que c'est là une distinction métaphysique fondamentale, alors l'exigence de lois fondamentales fondant et expliquant la scission a un sens ; mais nous, naturalistes, pensons que cette sacralisation est en elle-même suspecte, accréditée qu'elle est par la tradition et par rien d'autre. […] Nous, naturalistes, pensons que la conscience, comme la locomotion ou la prédation, est quelque chose qui se décline en une multitude de variétés, avec certaines propriétés fonctionnelles en commun, mais avec aussi de nombreuses différences imputables à différentes histoires et circonstances évolutionnaires. Et en faisant ces distinctions nous n'avons nul besoin de lois fondamentales. 

    p. 39 

     

    La conscience est souvent célébrée à la manière d'un mystère situé au-delà de la science, impénétrable du dehors, bien qu'intimement connaissable de l'intérieur par chacun d'entre nous. J'estime que cette tradition n'est pas seulement une erreur, mais qu'elle constitue un obstacle sérieux à la recherche scientifique en cours, celle qui peut expliquer la conscience de façon aussi profonde et complète que d'autres phénomènes naturels : le métabolisme, la reproduction, la dérive des continents, la gravitation et ainsi de suite. 

    p. 49 

     

    Nous avons trop tendance à négliger le fait qu'une grande partie de ce que "nous" - vous et moi, ainsi que nos amis et d'autres - croyons, concernant la conscience, provient de l'énorme stock de représentations partagées, publiques, objectives, portant sur les flux de conscience des autres gens, qu'ils soient réels ou fictifs. 

    p. 51 

     

    Daniel Dennett cite Engels : Vous n'avez pas autorité sur ce qui se passe en vous, mais seulement sur ce qui semble se passer en vous […]. 

    p. 81 

     

    Pourquoi certaines personnes sont-elles possédées par l'intuition du zombie est une des choses qu'il incombe à une théorie de la conscience d'expliquer. 

    p. 84 

     

    Le fait que certains sujets nourrissent l'intuition du zombie ne devrait pas être considéré comme un motif pour révolutionner la science de la conscience. 

    p. 87 

     

    Le "pouvoir de suggestion" est un outil puissant dans l'arsenal du magicien, et parfois ce sont les mots du magicien qui jouent un rôle plus important que tout ce qu'il peut montrer ou faire. […] Quand nous réfléchissons sur les phénomènes de la conscience, et que nous nous demandons comment ils sont mis en œuvre dans le cerveau, il n'est pas du tout rare que nous retombions dans le vocabulaire hyperbolique de la "magie". L'esprit nous joue des tours. La manière dont le cerveau produit la conscience est foncièrement magique. 

    p. 106 & 107 

     

    Tout le travail qui, dans le Théâtre Cartésien, est à la charge de l'homoncule imaginaire, doit être redistribué entre différentes agences subalternes du cerveau, dont aucune n'est consciente. Cependant, chaque fois qu'un pas en avant est fait dans ce sens, le Sujet se volatilise ; à sa place on ne trouve plus que les pièces d'une machinerie, dépourvues d'esprit, exécutant inconsciemment leur tâche. Est-ce là la bonne direction à prendre pour une théorie de la conscience? Là-dessus les opinions se séparent de manière tranchée. Il y a, tout d'abord, ceux qui sont d'accord avec moi pour reconnaître que tant que vous maintenez le Sujet dans votre théorie, c'est comme si vous n'aviez encore rien fait ! Une bonne théorie de la conscience devrait faire en sorte que l'esprit conscient ressemble à une usine déserte […], remplie de machines bourdonnantes, et sans personne sur place pour la surveiller, en profiter ou en témoigner. 

    p. 117 

     

    […] quand nous nous flattons d'avoir fait le tour e tous les Problèmes Faciles et d'avoir découvert un résidu inexpliqué. Il est possible que ce résidu ait déjà été traité, sans qu'on sache le voir, au travers des phénomènes ordinaires pour lesquels nous disposons déjà d'explications ; il est possible aussi qu'il sera traité par les voies sans mystères qui restent encore à explorer. 

    p. 126 

     

    Le fonctionnalisme est une hypothèse merveilleusement - et même absurdement - radicale, avec laquelle bien peu d'entre nous se sentent entièrement à l'aise. 

    p. 251 

     

     

    7. À vérifier 

     

    Nagel […] : "Si le caractère subjectif d'une expérience n'est pleinement compréhensible que d'un seul point de vue, alors tout changement de perspective en direction d'une plus grande objectivité - autrement dit, un attachement moindre à un point de vue spécifique - ne nous rapproche pas de la nature réelle du phénomène : il nous entraîne bien au-delà de lui." […] Mais la prémisse antécédente au conditionnel de notre auteur n'a pas encore été démontrée. Elle semble trop évidente pour requérir une démonstration, mais si c'est le cas, alors même une tentative rudimentaire pour l'infirmer devrait elle-même s'exposer à une réfutation décisive. 

    p. 66 & 67 

      

     

    8. Neutre 

      

    On sait aujourd'hui que chacun d'entre nous est un assemblage de milliards de milliards de cellules, lesquelles appartiennent à des milliers d'espèces distinctes. […] et, pour le dire de façon frappante et sans fioritures, pas une seule de ces cellules qui vous composent ne sait qui vous êtes ni ne s'en soucie. 

    p. 18 

     

    Sous le regard de beaucoup de personnes, cette idée (le dualisme) est encore la seule vision de la conscience qui ait un sens pour elles, mais on constate aujourd'hui chez les chercheurs scientifiques et chez les philosophes l'existence d'un très large consensus sur le fait que le dualisme est - qu'il doit être - faux : nous sommes tous faits de robots dépourvus d'esprit et de rien de plus, et en aucun cas de composants non physiques, non robotiques. 

    p. 20 

     

    La période actuelle est hantée par la même disproportion entre les fins et les moyens : Noam Chomsky, Thomas Nagel, et Colin Mc Ginn (entre autres) ont tous émis des conjectures, des spéculations et des affirmations autour de l'idée que la conscience dépasse la portée de toute intelligence humaine, qu'elle constitue, pour prendre les termes proposés par Chomsky, un mystère et non une énigme. Si l'on suit cette ligne de pensée, nous sommes dépourvus des moyens - puissance cérébrale, perspective, intelligence - d'appréhender comment les "pièces qui poussent les unes les autres" pourraient constituer la conscience. Toutefois, ces penseurs ont également insinué, comme le fait Leibniz, qu'eux-mêmes comprenaient quelque peu le mystère de la conscience - suffisamment bien pour être en mesure de conclure que ce mystère ne pouvait être élucidé par quelque explication mécaniste que ce soit. Et, tout comme Leibniz, ils n'ont en réalité rien proposé d'autre qu'une image fascinante, en guise d'argumentation en faveur de leurs conclusions pessimiste. Quand ils considèrent l'avenir, ils se contentent de baisser les bras et décrètent qu'aucun éclaircissement n'est à attendre ni même possible dans cette direction. 

    p. 22 

     

    La pure et simple existence des ordinateurs a apporté une preuve d'existence porteuse d'une influence indiscutable : à savoir qu'il existe des mécanismes - peu évolués, dépourvus de mystère, fonctionnant selon des principes physiques triviaux et bien connus - et qui possèdent un grand nombre des compétences jusque-là assignée aux seuls esprits. 

    p. 25 

     

    Le fonctionnalisme, c'est l'idée suivant […] laquelle le matériel n'importe qu'en vertu de ce qu'il peut faire. […] Et compte tenu du fait que la science est toujours soucieuse de simplifications, soucieuse du maximum de généralité qu'elle puisse atteindre, le fonctionnalisme atteste dans la pratique un penchant en faveur du minimalisme, de l'idée que le moins compte plus que ce qu'on aurait pu croire. 

    p. 40 

     

    […] le computationnalisme ou "IA forte" [:] en principe vous pourriez remplacer votre cerveau humide, organique, par une horde de puces et de câbles en silicone et continuer à penser (et à être conscient, et ainsi de suite). 

    p. 42 

     

    Je ne sais pas combien durera ce malentendu qui est omniprésent, mais je suis encore assez optimiste pour faire la supposition que viendra un temps, au cours du nouveau siècle, où, nous retournant sur notre époque, nous nous étonnerons de la force de la résistance viscérale à un verdict évident concernant l'intuition du zombie : qu'il s'agit d'une illusion. 

    p. 47 

     

    Les méthodes en troisième personne des sciences de la nature sont suffisantes pour explorer la conscience aussi complètement que n'importe quel autre phénomène de la nature, et cela sans laisser de résidu significatif. 

    p. 56 

     

    En toute rigueur, nous ne pourrions pas vivre sans la physique naïve ; elle est extrêmement féconde et rapide pour les attentes fiables qu'elle nous offre, et elle est virtuellement involontaire. Vous ne pouvez pas vous abstraire facilement de vos attentes. […] La machinerie d'arrière-plan de la physique naïve n'est pas directement accessible à l'introspection, mais on peut l'étudier indirectement en dressant la carte de ses "théorèmes", des généralisations auxquelles visiblement on peut se fier (ce n'est qu'une manière de parler) sur la base de leurs indications particulières. 

    p. 60 

     

    […] hétérophénoménologie […] : Le chemin neutre qui conduit de la science physique objective et du privilège qu'elle accorde au point de vue de la troisième personne, à une description phénoménologique qui peut (en principe) rendre justice aux expériences les plus privées et les plus ineffables sans jamais abandonner les scrupules méthodologiques de la science. 

    p. 67 

     

    […] la posture intentionnelle est comportementaliste, en ce sens qu'elle se restreint délibérément au "comportement" de tous les sujets qui est intersubjectivement observable, avec tous ses aspects, internes et externes. Mais elle est de toute évidence non comportementaliste en un autre sens, puisqu'elle consiste précisément en interprétations "mentalistes" de comportements bruts, lesquels sont interprétés sous forme d'actions expressives de croyances, de désirs, d'intentions, et autres attitudes propositionnelles. 

    p. 70 

     

    L'hétérophénoménologie est le commencement d'une science de la conscience, mais pas sa fin. Elle est l'organisation des données, un catalogue de ce qui doit être expliqué, et non par elle-même une explication. Et, en maintenant cette neutralité, elle rend réellement justice à la perspective en première personne, car vous ne pouvez pas vous-même, en tant que sujet d'une expérimentation d'amorçage avec masque, découvrir dans votre propre expérience de quoi favoriser A plutôt que B. 

    p. 74 

     

    (a) "expériences conscientes elles-mêmes" ; 

    (b) croyance portant sur ces expériences ; 

    (c) "jugement verbaux" exprimant ces croyances ; 

    (d) énoncés d'un type ou d'un autre. 

    […] Pour les hétérophénoménologues, les données premières sont les sons enregistrés quand les bouches des sujets sont en mouvement, ou (d) les énoncés, les données brutes non interprétées. Mais avant d'en venir à la théorie, nous pouvons interpréter ces données, qui nous font passer, via (c) les actes de langage, aux (b) croyances portant sur ces expériences. Ce sont là les données premières interprétées, les données préthéoriques […] pour une science de la conscience. 

    p. 80 

     

    Bien évidemment, je ne soutiens pas que la conscience humaine n'existe pas ; je soutiens qu'elle n'est pas ce que souvent les gens pensent qu'elle est. 

    p. 119 

     

    […] la tradition nous enseigne que ces expériences subjectives possèdent des "qualités intrinsèques" – les qualia, dans le jargon des philosophes - auxquelles non seulement j'ai pleinement accès, mais qui restent inaccessibles à une investigation objective. […] "Qualia" est le pluriel de "quale", mot latin qui signifie qualité […]. 

    p. 130 

     

    […] la majorité des événements qui se produisent dans mon corps, et même dans mon cerveau, se déroule sans que j'en prenne connaissance. Pourtant, en contraste frappant avec cet état de choses trivial, il est des événements qui se produisent dans mon cerveau et dont j'ai, au moment de leur occurrence, pleine connaissance : ce sont mes expériences subjectives mêmes. 

    p. 130 

     

    Soit, il est en effet difficile de nier qu'il existe des qualia. Cela fait plusieurs années que je m'y efforce, mais les progrès sont minces ! La raison pour laquelle c'est difficile tient principalement à ce que le "sens large et classique du terme" est un essaim de présuppositions non examinées et d'élaborations définies de manière circulaire. 

    p. 131 & 132 

     

    Le concept de qualia forgé par les philosophes, c'est la pagaille. Les philosophes ne sont même pas d'accord entre eux sur la manière de l'appliquer à des cas contentieux […]. Ce constat devrait être un brin embarrassant pour notre discipline, étant donné qu'un assez grand nombre de scientifiques ont été récemment persuadés par des philosophes qu'ils devaient prendre les qualia au sérieux - pour s'apercevoir que les philosophes sont loin de s'accorder entre eux sur la question de savoir quand on est en présence de qualia, de quelque nature qu'ils soient. 

    p. 144 

     

    Un des faits des plus intéressants à propos de certains prosopagnosiques est le suivant : en dépit de leur incapacité à identifier ou à reconnaître des visages sous forme d'activités conscientes, on peut montrer qu'ils répondent de façon différente à des visages familiers et non familiers, et même qu'ils le font selon des modalités qui montrent qu'à leur insu, ou de manière implicite, ils ont identifié correctement des visages qu'ils étaient incapables d'identifier à la demande. 

    p. 153 

     

    Illusion de Capgras : Les gens souffrant de l'illusion de Capgras se mettent subitement à croire qu'une personne aimée - conjoint, amant ou parent, le plus souvent - a été remplacée par un imposteur lui ressemblant. 

    p. 154 

     

    […] Andrew Young a entrevu une solution, et défendu l'idée que l'illusion de Capgras était fondamentalement le "contraire" de la pathologie responsable de la prosopagnosie. Chez le Capgras, le système cortical conscient de reconnaissance des visages est préservé - c'est pourquoi le patient reconnaît la personne qui lui fait face comme le portrait craché de la personne aimée - mais le système limbique inconscient est détérioré, dépouillant ainsi la reconnaissance de toute la résonance émotionnelle qu'elle devrait posséder. Le manque de cette contribution subtile à l'identification est tellement bouleversant […] qu'il équivaut à un veto infligé au vote positif émis par le système demeuré intact : la conséquence qui en résulte est, chez le patient, la conviction sincère qu'il a affaire à un imposteur. 

    p. 155 

     

    Pompe à intuitions : "[…] expérience de pensée qui est moins un argument en forme qu'un petit scénario, ou un sketch, et qui a pompé des intuitions philosophiques avec une vigueur remarquable." 

    p. 169 

     

    La vraie notoriété n'est pas la cause de toutes les conséquences normales ; elle consiste en ces conséquences mêmes. La conscience exige qu'on fasse la même distinction, car c'est là que l'imagination des théoriciens s'égare : c'est une erreur que de se mettre en quête d'une propriété feu follet supplémentaire de la conscience, dont pourraient bénéficier certains événements dans le cerveau, sans qu'ils jouissent des fruits de cette célébrité dans le cerveau. 

    p. 228 & 229 

     

    Si vous vous lancez dans l'entreprise d'expliquer le Sujet conscient, il vous faudra d'une manière ou d'une autre assurer la transition entre des cellules ne sachant rien de rien et des organisations cellulaires "sachantes", et cela sans faire appel à des ingrédients magiques. Cette exigence soumet les théoriciens à ce que certains considèrent comme un redoutable dilemme […] Si vous défendez une théorie du Sujet connaissant décrivant tout ce qu'elle peut décrire comme étant la production d'une usine déserte automatisée - et non d'un Sujet bien en vue - vous passerez, aux yeux de nombreux observateurs, pour quelqu'un qui a changé de sujet ou qui n'a pas vu l'essentiel. D'une autre côté, si votre théorie réserve encore à un Sujet des tâches à accomplir, si elle conserve le besoin d'un Sujet comme Témoin Central, alors, même si vous pouvez être faussement réconforté par l'impression qu'il y a encore quelqu'un au logis dans le cerveau, vous aurez en fait ajourné la tâche d'expliquer ce qui demande à être expliqué. 

    p. 232 & 233 

     

    Il n'existe pas de science en première personne, et si l'on souhaite qu'advienne une science de la conscience, elle se devra d'être une science en troisième personne de la conscience, ce qui ne lui réussit pas si mal […]. 

    p. 237 

     

    L'approche en troisième personne n'est nullement en contradiction avec les nuances subjectives de l'expérience, ni désireuse de les passer sous silence ; elle insiste simplement sur l'ancrage de ces nuances subjectives dans quelque chose - n'importe laquelle, véritablement - pourvu que l'ancrage puisse être détecté et confirmé par des expériences reproductibles. 

    p. 239 & 240 

      

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